Au fil des siècles, la parfumerie s’est largement développée. L’art de composer a évolué avec la palette du parfumeur, qui s’est enrichie de nouveaux ingrédients, naturels ou de synthèse. Dans une quête perpétuelle d’inédit, les parfumeurs ont toujours cherché de nouveaux horizons olfactifs. Parmi ceux-ci, le parfum du tabac est un accord né à l’aube des années 20, qui n’a cessé d’être exploré depuis.
Naissance de l’accord tabac dans les parfums
Si le tabac est ancien dans notre culture, les effluves de tabac en parfumerie sont en revanche plus récents.
Son origine doit beaucoup à l’émancipation des femmes durant la Première Guerre mondiale. Une période sombre, où les femmes ont remplacé les hommes aux tâches qui leur étaient réservées. Ces fameuses “garçonnes” aux cheveux courts, qui, désormais, fument, conduisent des automobiles et portent des pantalons. Voilà qui inspire la prestigieuse maison Caron, qui lance son parfum Tabac Blond en 1919. Un sillage chaleureux, cuiré, qui évoque -dans une vision sublimée- le fameux tabac de Virginie que les femmes préfèrent au tabac brun des hommes.
Il n’y a pourtant aucune note de tabac dans ce parfum, mais il joue d’effets boisés, cuirés, et épicés, pour en restituer l’idée. Ce parfum inaugure en fait la famille du cuir, qu’il habille ici d’un accord oeillet et d’une touche florale, pour s’épanouir sur un fond de baumes et de notes animales.
Deux ans plus tard, Molinard lance Habanita (1921). Il se présente d’abord sous la forme de petits sachets destinés à parfumer les cigarettes des femmes, avant d’être commercialisé sous la forme d’une eau de toilette tenace. Une petite merveille de sensualité, dont les effets de tabac et de cuir côtoient la vanille et le vétiver, ourlés d’ambre et de notes poudrées. C’est d’ailleurs un des pionniers de la famille orientale en parfumerie et reste, aujourd’hui, le plus grand succès de la marque.
Bien qu’il n’exhale aucune senteur de tabac à proprement parler, on pense aussi à Fleurs de Tabac de Cherigan Paris (1929), dont l’accccord floral et poudré se pose sur un lit ambré et boisé.
Composition de l’accord tabac en parfumerie
L’accord tabac, dans les parfums, a souvent puisé dans les nuances foin de la coumarine. Une des premières molécules de synthèse découverte en 1868, extraite de la fève tonka. Cette molécule dégage des notes amandées et poudrées, mais aussi une facette foin, dont les parfumeurs ont souvent joué pour reproduire le parfum du tabac. La fève tonka elle-même possède, au-delà de sa senteur amandée, un côté tabac amsterdamer.
Il est aussi possible de restituer les effluves du tabac grâce à la flouve, une absolue aux notes de foin coupé et aux notes herbacées. Tout comme le liatrix, une plante aux tonalités de tabac miellé légèrement vertes mais aussi vanillées.
Si les facettes tabac de ces grands parfums relèvent plutôt d’un accord, les parfumeurs peuvent aussi utiliser l’absolue de tabac, aux notes boisées, miellées, aromatiques, sèches et chaleureuses, évoquant le parfum du tabac à pipe. On l’obtient grâce à l’extraction aux solvants volatils des feuilles de la plante. L’absolue de tabac est produite essentiellement en France et aux Etats-Unis. Celle-ci apporte beaucoup de richesse, ainsi qu’une texture veloutée aux compositions.
Le parfum du tabac enivrant
Ces dernières années, l’accord tabac s’est souvent réinventé sous un jour miellé, côtoyant des notes rondes, liquoreuses, fruitées ou épicées. Un univers alléchant, sensuel et enveloppant, que la parfumerie de niche a beaucoup exploré.
A l’image d’Ambre Narguilé d’Hermès (2004), où le tabac rencontre la chaleur du rhum, des épices et des baumes, dans une partition enivrante à souhait. Pour Tom Ford, le tabac embrasse le cacao, dans une étreinte ourlée de vanille et de rhum: c’est le voluptueux Tobacco Vanille (2007). Une note de tabac froid épouse la fraîcheur jasminée d’une peau féminine pour Jasmin et Cigarette d’Etat Libre d’Orange (2006). En 2012, Diptyque marie le tabac miellé à l’iris, dans un accord twisté de cuir et d’épices pour Volutes. Un registre au charme addictif, maintes fois exploité ces quinze dernières années.
Si la note tabac a été travaillée sous toutes ses facettes, florales, végétales, miellées, cuirées ou animales, Parfum d’Empire le révèle dans toute sa complexité pour Tabac Tabou en 2015. Le tabac s’habille ici des nuances foin du narcisse, des notes miellées de l’immortelle, s’éclaire de tilleul et de mimosa, sur fond de cuir.
La note tabac: un parfum d’interdit?
Bien qu’ils ne contiennent pas une once de cette plante, Tabac Blond de Caron et Habanita de Molinard ont marqué leur temps et séduit la gente féminine en cultivant la transgression. Celle, pour les fameuses “garçonnes”, de sortir des codes classiques de la féminité pour s’accaparer ceux des hommes, à travers la cigarette.
En 1978, Yves Saint-Laurent joue à nouveau de ce registre transgressif avec Opium. Un nom provocant, servi par un slogan accrocheur: “Opium, pour celles qui s’adonnent à Yves Saint-Laurent”.
Depuis le début du XXème siècle, la parfumerie a su jouer de nos interdits pour nous attirer dans ses filets. A moins que ce lien entre parfum et tabac ne remonte, en fait, à ses origines? Parfum, per fumum, par la fumée…