Une vérité difficilement discutable en parfumerie : la France y occupe une place spéciale. Au même titre que la gastronomie ou les paysages de certaines contrées, la France se distingue par ses parfums de luxe qui ont conquis le monde depuis parfois plus de deux cent ans.
Mais comment expliquer cette prépondérance, cette disproportion même, de la parfumerie française dans le monde ? Que ce soit les marques, les parfumeurs, les ingrédients, ou même les lieux phares d’inspiration, la France est presque omniprésente.
Tour d’horizon des éléments d’explication pour tirer tout cela au clair - en tâchant d’éviter tout chauvinisme !
La parfumerie française et son histoire
Dire que la parfumerie est une invention française serait faux. Depuis l'Antiquité (et probablement avant cela), les humains ont montré une appétence pour les bonnes odeurs, sous diverses formes : fumigations, onguents, huiles, eaux, alcoolats… Les Egyptiens, les Assyriens, les Hébreux, les Grecs, les Romains, les Arabes… De nombreux peuples ont eu des centaines voire des milliers d’années pour parfaire l’utilisation des matières odorantes, bien avant la naissance de la parfumerie française. Les Égyptiens embaumaient leurs morts en les parfumant, les Hébreux offraient des fumigations dans le temple de Jérusalem, et les Grecs puis les Romains n'hésitaient pas à s’enduire d’huiles ou à se tremper dans des eaux parfumées. De tout temps, le parfum a endossé le rôle de connecteur spirituel, agent de réconfort, de soin ou d’hygiène.
En France, le parfum fût longtemps confiné entre les murs des églises - la Chrétienté y voyant un symbole de séduction et d’interdit, il ne pouvait donc qu’être utilisé à des fins sacrées.
La diffusion de la distillation (à partir du VIIIème siècle) puis l’apparition de l'éthanol (XIIIème siècle) contribuèrent à généraliser l’utilisation du parfum en France, souvent dans un un but thérapeutique, jusqu’à la Révolution Française.
La ville de Grasse symbolise l’apparition d’une nouvelle industrie : de tanneurs, ses artisans deviennent parfumeurs, grâce aux essences végétales qu’ils avaient pris l’habitude d’extraire pour atténuer les mauvaises odeurs de leurs cuirs. D’agréables effluves se propagent alors dans les cours royales à Paris.
À partir de là, le parfum commence à se décharger de ses vocations fonctionnelles (hygiène, médecine, et religion) pour devenir un accessoire de beauté, de propreté et de luxe. La parfumerie française est sur le point de naître.
Les premières maisons de parfumerie française
Les premières marques à se lancer se fournissent à Grasse ou établissent leurs propres usines en région parisienne, et ont pour clients la Royauté et l’aristocratie. C’est ainsi que voient le jour Oriza L. Legrand (1720), L.T. Piver (1774), Houbigant (1775), Lubin (1798), Guerlain (1828)...
Très vite, ces sociétés se lancent à l’international, bénéficiant au XIXème siècle de l’expansion coloniale - donc économique - française. Certaines sont représentées aux Etat-Unis, en Amérique du Sud, partout en Europe, voire aux Indes et en Asie du Sud-Est…
A cette époque, la parfumerie française se distingue par une large utilisation d’essences de fleurs (rose, violette, jasmin, mimosa…) et un certain style prend ainsi forme.
Révolution et progrès de la parfumerie française
Dans la deuxième moitié du XIXème siècle intervient un changement considérable : les progrès de la science mettent à jour une nouvelle discipline, permettant de plonger dans les arcanes de la nature : la chimie.
En plus des essences naturelles, extraites directement des plantes, des laboratoires offrent des molécules aux odeurs innovantes - soit isolées de la nature, soit inventées de toutes pièces. La parfumerie va s’en servir comme un tremplin pour passer de l’artisanat à l’art.
Le marqueur historique que l’on retient aujourd'hui de ces balbutiements de la parfumerie française moderne, porte le nom de Fougère Royale, chez Houbigant. Lancé en 1882, sa combinaison inédite de lavande et de coumarine (une molécule à l’odeur d’amande et de foin) rend ce parfum complètement inclassable et inaugure ainsi une nouvelle forme olfactive : la famille des “fougères”.
A la même époque, Guerlain sortit sa version de la fougère, plus androgyne, sous le nom de Jicky (1889). La parfumerie française montrait ainsi son extraordinaire vitalité, sa recherche de modernité, pour sortir des floraux convenus de début de siècle.
Les années 1900 virent l’explosion de cette parfumerie au style éblouissant, mêlant fleurs, agrumes, épices, bois, bases de parfumeurs et molécules synthétiques. Coty et Caron rejoignirent la tête du peloton et contribuèrent eux aussi à imaginer une parfumerie française riche, généreuse, mêlant la fraîcheur aux ténèbres pour proposer une signature unique et élégante.
Les couturiers, catalyseurs de la parfumerie française
A partir des années 1920, une nouvelle catégorie de marques connaît un succès grandissant avec leurs parfums : les couturiers. La mode, vitrine idéale pour un produit après tout invisible, permet d’appliquer une imagerie bien réelle sur le parfum, ce symbole éternel de l’évanescence. Chanel, Lanvin, Jean Patou, puis Rochas, Balmain, Dior et enfin Yves Saint-Laurent…. La liste des créateurs de mode lançant des parfums est interminable et illustre à merveille la réussite flamboyante de ce mariage au retentissement international. Avec sa capacité à s’inspirer de personnages emblématiques ou à évoquer des cultures ou contrées lointaines, la parfumerie française achève d’acquérir ses lettres de noblesse et représente désormais un idéal d’élégance et de bon goût.
Plongeon dans la modernité
À partir des années 60, la parfumerie s’industrialise encore plus, et touche désormais beaucoup plus de gens, résultat d’une prospérité économique qui a créé une nouvelle classe sociale avide de consommer, la classe moyenne. Surtout, elle se modernise, se démocratise et se globalise. La parfumerie américaine fait son entrée dans la deuxième moitié du XXème siècle, avec des noms comme Estée Lauder, Clinique ou Calvin Klein, puis bien plus tard Tom Ford.
Cependant, le rayonnement de la parfumerie française reste intact ; les grandes marques se font racheter par de grandes firmes multinationales qui leur offrent toujours plus de moyens et de visibilité, au détriment parfois de leur attribut de rareté.
Le parfum n’est toujours pas l’apanage exclusif de la France, en témoigne son importance dans la culture arabe par exemple. Mais même là-bas, les marques françaises bénéficient d’une aura inégalée, porteuse de raffinement.
Parfumerie française : renouvellement encore et toujours
Au début du XXIème siècle, la parfumerie “prestige” (les grandes marques présentes dorénavant partout dans le monde) s'essouffle quelque peu - à force d’image on a perdu l’odeur. De petites maisons indépendantes inventent un nouveau chemin : une parfumerie d’auteur, de retour à la matière et à l’essentiel, qui doit se trouver dans le flacon et non dans la griffe qui y est apposée. Cette parfumerie française “de niche” accorde une attention toute particulière à l’originalité de l’odeur et à la qualité des matières premières, deux paramètres qui avaient été négligés dans le tourbillon de la globalisation économique. Leur style olfactif emprunte aux parfums historiques tout en s’appropriant les merveilles olfactives que procure la modernité pour imaginer de nouveaux grands classiques.
Le monde allant toujours de plus en plus vite, un certain nombre de ces marques se font également acquérir par les mêmes grands groupes du luxe, lissant à nouveau la singularité olfactive du marché.
En 2024, il faut à nouveau se tourner vers des créateurs libres, indépendants et sans contraintes, qui envisagent la parfumerie à la fois comme un art et un artisanat - Isabelle Burdel en fait partie et a le loisir de proposer des idées olfactives libres de tout carcan à travers la collection Olfactory Revelation.